Par un arrêt de section publié au bulletin (Cass. 3ème civ, 20 mars 2025, pourvoi n° 23-11.527) rendu dans un dossier du cabinet, la Cour de cassation est venue apporter de nouvelles précisions sur les conditions de mise en œuvre des dispositions de l’article L. 480-14 du code de l’urbanisme permettant à une commune de saisir le juge judiciaire aux fins de faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d’un ouvrage édifié ou installé en violation des règles d’urbanisme applicables.
Ces dispositions s’inscrivent dans un arsenal juridique plus vaste visant à offrir aux élus locaux des outils propres à assurer le respect du droit de l’urbanisme et à lutter contre les phénomènes croissants dits de « cabanisation » de leur territoire.
Au sein de cet arsenal, l’action civile prévue à l’article L. 480-14 du code de l’urbanisme n’est pas toujours très bien connue.
Les précisions apportées par la Cour de cassation dans l’arrêt sous commentaire sont toutefois de nature à lui redonner un nouvel attrait.
I. RETOUR SUR LE CADRE JURIDIQUE DE L’ARTICLE L. 480-14 DU CODE DE L’URBANISME
Pour mémoire, l’article L. 480-14 du code de l’urbanisme dispose que :
« La commune ou l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme peut saisir le tribunal judiciaire en vue de faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d’un ouvrage édifié ou installé sans l’autorisation exigée par le présent livre, en méconnaissance de cette autorisation ou, pour les aménagements, installations et travaux dispensés de toute formalité au titre du présent code, en violation de l’article L. 421-8. L’action civile se prescrit en pareil cas par dix ans à compter de l’achèvement des travaux ».
Cette action « est justifiée par l’intérêt général qui s’attache au respect des règles d’urbanisme, lesquelles permettent la maîtrise, par les collectivités publiques, de l’occupation des sols et du développement urbain » (Décision n° 2020-853 QPC du 31 juillet 2020).
Pour cette raison, le juge judiciaire opère une appréciation plutôt souple de ces dispositions.
Ainsi, la commune qui met en œuvre ces dispositions dispose d’une action autonome en vertu de laquelle elle n’a pas à établir un quelconque préjudice (Cass. 3ème civ., 16 mai 2019, n° 17-31.757, Publié au bulletin).
De même, la commune conserve son intérêt à agir sur le fondement de cet article quand bien même sa compétence en matière de PLU aurait été transféré à l’EPCI (Cass. 3ème civ., 21 janvier 2021, n° 20.10-602, Publié au bulletin).
En revanche, la démolition d’un ouvrage irrégulièrement édifié ne peut être ordonnée par le juge judiciaire que dans l’hypothèse où cet ouvrage ne peut faire l’objet d’aucune régularisation par le dépôt d’une demande d’autorisation a posteriori (Décision n° 2020-853 QPC du 31 juillet 2020).
De même que, lorsqu’une mesure de démolition est sollicitée, le juge judiciaire opère un contrôle de la proportionnalité de cette demande au regard :
- De l’éventuel préjudice subi par des tiers ;
- De l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) relatif au droit au respect de la vie privée et familiale et à la protection du domicile ;
- Et compte tenu des enjeux que présente le respect de la règle méconnue (sécurité publique, protection de l’environnement, etc.) (Cass. 3e civ., 16 janvier 2020, n° 19-10.375, Publié au bulletin).
Par le présent arrêt commenté du 20 mars 2025, la Cour de cassation est venue ajouter une nouvelle pierre à cet édifice.
II. APPORT DE L’ARRET DU 20 MARS 2025
Dans cette affaire, un certain nombre d’aménagements (terrassements, clôture, etc…) ont été réalisés sur des parcelles appartenant à une SCI en vue de permettre le stationnement de caravanes.
Ces travaux ont été réalisés sans autorisation d’urbanisme et en violation des règles applicables, lesdites parcelles étant notamment situées en zone d’aléa fort du plan de prévention des risques inondations.
La commune a assigné la SCI devant le juge des référés sur le fondement combiné des dispositions des articles L. 480-14 du code de l’urbanisme et 835, alinéa 1er, du code de procédure civile en vue de la voir condamnée à la remise en état des parcelles sous astreinte.
Condamnée en première instance puis en appel, la SCI a finalement formé un pourvoi en cassation.
Par un premier moyen, elle soutenait que les dispositions de l’article L. 480-14 ne pouvaient être mobilisées que devant le juge judiciaire du fond.
Par un second moyen, elle considérait que les mesures pouvant être prononcées au titre de l’article L. 480-14 du code de l’urbanisme étaient plus restrictives que celles pouvant être prescrites au titre de l’article 835 du code de procédure civile.
Elle en déduisait que la mesure de remise en état ordonnée, en imposant la suppression de certaines aménagements et une obligation de remblaiement du terrain décapé, allait au-delà de la démolition d’ouvrage illicite, seule autorisée par l’article L. 480-14 du code de l’urbanisme.
Rejetant l’ensemble de ces moyens, la 3ème chambre civile indique que :
« 5. L’article L. 480-14 du code de l’urbanisme, qui autorise la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme à saisir le tribunal judiciaire en vue de faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d’un ouvrage édifié ou installé sans l’autorisation exigée par le livre IV de ce code, en méconnaissance de cette autorisation ou, pour les aménagements, installations et travaux dispensés de toute formalité au titre du même code, en violation de l’article L. 421-8, n’a ni pour objet ni pour effet de priver ces autorités de la faculté de saisir le juge des référés, sur le fondement de l’article 835 du code de procédure civile, pour faire cesser le trouble manifestement illicite ou le dommage imminent résultant de la violation d’une règle d’urbanisme et prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent. »
La Cour confirme ainsi la compétence du juge des référés pour condamner, en présence de travaux réalisés en violation des règles d’urbanisme, à faire cesser lesdits travaux et à remettre en état les lieux.
Ce faisant, elle vient confirmer une ligne jurisprudentielle déjà tracée (voir notamment : Cass. 3ème civ., 4 avril 2019, n° 18-11.207 et n° 18-11.208, Publié au bulletin).
L’apport n’est pas négligeable puisque la saisine du juge des référés permets de réduire très sensiblement les délais de procédure.
Elle indique également que le juge des référés peut prononcer toutes mesures conservatoires ou de remise en état qu’il estime nécessaire sans que celles-ci ne soient limitées, par les dispositions de l’article L. 480-14, à la seule démolition de constructions.
La Rapporteur, Madame Laurence Adgrall-Baugé, faisant œuvre de pédagogie, rappelle à cet égard que :
« Cette branche conduit à s’interroger sur la notion de « mise en conformité » prévue par ce texte et son identité ou au contraire sa différence par rapport à celle de remise en état.
[…] Il en résulte que la mise en conformité peut s’entendre à la fois d’une mise en conformité juridique (solliciter les autorisations, procéder aux déclarations prévues par les textes) et d’une mise en conformité matérielle, avec une autorisation, une déclaration ou une règle. La remise en état prononcée sur le fondement de l’article 835 du cpc peut également comporter tous types de mesures matérielles jusques et y compris la démolition ».
Dans la lignée de ces précédentes décisions, la Cour de cassation refuse donc d’opérer une lecture trop restrictive des dispositions de l’article L. 480-14 et lui assure son plein effet.
III. POUR ALLER PLUS LOIN
Les diverses procédures offertes aux élus pour faire respecter le droit de l’urbanisme ont déjà fait l’objet d’une présentation dans le cadre de précédents postes.
En synthèse, il sera rappelé que :
– Lorsqu’il constate une infraction au code de l’urbanisme, le maire est tenu d’en dresser procès-verbal qu’il doit transmettre dans délai au Procureur de la République (article L. 480-1 du code de l’urbanisme).
Il appartiendra au Procureur d’apprécier l’opportunité de mettre en œuvre ou non l’action publique c’est-à-dire de déclencher d’éventuelles poursuites pénales.
Si le juge pénal est saisi, il pourra ordonner, sur le fondement des dispositions de l’article L. 480-5 du code de l’urbanisme : soit la mise en conformité des constructions ou travaux irréguliers avec les règles applicables, soit la remise en état des lieux dans leur état antérieur.
La commune pourra se constituer partie civile dans le cadre de l’instance pénale.
A tout le moins, le prononcé d’une mesure de remise en état suppose que les observations du maire aient été préalablement recueillies par le juge pénal, soit par écrit, soit par son audition.
– Indépendamment des poursuites pénales mises en œuvre, la commune dispose également de la faculté : soit de saisir le juge judiciaire, le cas échéant en référé, sur le fondement des dispositions de l’article L. 480-14 du code de l’urbanisme, soit encore de mettre en demeure le contrevenant dans le cadre d’une procédure administrative.
– S’agissant de cette dernière administrative, le maire dispose en effet de la faculté de mettre lui-même en demeure l’auteur de travaux illégaux d’avoir à se mettre en conformité sur le fondement des dispositions de l’article L. 481-1 du code de l’urbanisme, en ce compris en procédant à la démolition des constructions qui ne sont susceptibles d’être régularisées (CE, 22 décembre 2022, Commune de Villeneuve-lès-Maguelone, n 463331, publié au Lebon).
Cette mise en demeure peut être assortie d’une astreinte dans les conditions prévues à l’article L. 480-2 du code de l’urbanisme.
Aux termes de l’article L. 481-3 du code de l’urbanisme, il est également possible, dans le cas où la mise en demeure ne serait pas exécutée, d’obliger l’auteur de l’infraction à consigner entre les mains du comptable public une somme équivalente au montant des travaux de mise en conformité à réaliser.
Si le point de départ est le même – procès-verbal de constat d’infractions – chacune des procédures susmentionnées présente des avantages et des inconvénients qu’il convient d’évaluer selon l’état du dossier.
Pour plus d’informations, n’hésitez pas à nous contacter.